J’ai rencontré Céline il y a quelques temps lors d’une soirée entre amis. Une grande et belle brune, au regard intense et doux à la fois. Nous avons blagué sur la vie, les enfants, jusqu’à ce qu’elle me raconte son incroyable histoire…
Peux-tu te présenter?
Je suis une maman de 32 ans, j’ai deux enfants de 9 et 7 ans, Erwin et Andreas.Divorcée du papa depuis 4 ans je les élève seule. Il ne les prend uniquement que pour les vacances. J’ai été obligée d’arrêter le travail pour pouvoir aider Andréas dans son suivi scolaire et auprès de tous les spécialistes qu’il doit voir (même si ils sont moins nombreux depuis cette année).
Que s’est-il passé le 19 oct 2009?
A l’époque, je travaillais en Allemagne. J’ai perdu les eaux la semaine précédent le 19 octobre 2009 à 4 mois et 3 semaines de grossesse. Le pédiatre et le gynécologue m’ont laissés le choix entre rester alitée et prendre le risque que Andréas contracte une infection qui le tuerait ou être césarisée et avoir 1/3 chance qu’il naisse vivant.
J’ai choisi la césarienne ne supportant pas l’idée de prendre le risque d’une infection.
Le fait que j’habite en Allemagne a été capital. En France, à ce terme, Andreas n’aurait pas été considéré comme viable et n’aurait pas pu bénéficier d’une aide respiratoire…
Comment s’est passée la césarienne?
Mon mari n’a pas voulu assister à la césarienne. C’était trop difficile pour lui. Je suis entrée seule dans le bloc, en larmes, l’âme en peine, pleine de culpabilité et de reproches. Ce petit être dans mon ventre, je n’avais pas su le protéger, le garder au chaud.
La simple pensée d’accoucher d’un enfant mort-né me traumatisait. Je n’avais que ça en tête.
Combien pesait et mesurait Andreas à la naissance?
Andréas pesait 550gr pour 31 cm. Il rentrait dans une boite de sucres!
Au bout de combien de temps as-tu pu voir ton fils?
Je n’ai pas vu mon fils tout de suite. Il a été pris en charge immédiatement par le service de réa-neonat.
Au bout d’1/4 d’heure, la seule infirmière parlant un peu français est venue m’annoncer que Andreas était… vivant!!!
Puis, je suis allée en salle de réveil pendant 2 heures, sans personne, avec un tas d’idées noires.
On m’a ramenée finalement dans ma chambre, mais sans pouvoir le voir. Mon mari refusait d’y aller seul.
Au bout de six heures d’attente, j’ai fait un scandale dans le service. De toute façon, ils ne comprenaient pas un mot de français . On a fini par m’amener un fauteuil roulant en me disant bien que je ne devais pas forcer.
Je risquais de faire péter les sutures. Chose dont je me foutais royalement, je voulais uniquement voir mon fils!
Le service néonat était dans l’autre bâtiment. 3 étages à descendre, 200m de couloir, les cuisines à traverser, 5 étages à monter et un interphone trop haut (mon mari ne voulant toujours pas venir).
Une infirmière m’a ouvert le sas, me grondant gentiment sur le risque que je venais de prendre.
Mais elle semblait comprendre mon désespoir et mon angoisse.
Comment as-tu réagi en voyant Andréas pour la première fois?
J’ai découvert mon petit bout branché de partout. Des machines sonnaient toutes les 5 minutes et faisaient surgir une infirmière qui appuyait sur un bouton et repartait. J’apprendrai plus plus tard qu’il s’agissait d’arrêts respiratoires…

Mon bébé dans une bulle! Sans couche, si petit qu’une simple gaze suffisait. Sa peau rouge comme si il avait été plongé dans un bain d’eau brûlante, chaque veine apparente.
Je suis restée là, à le regarder, sans bouger. J’avais l’impression que si je fermais les yeux ne serait-ce qu’un instant, il disparaitrait.
Puis au bout d’une heure, je suis retournée dans ma chambre, seule, après voir discuté avec le pédiatre.
Au bout de combien de temps as-tu pu le prendre dans tes bras?
Seulement au bout de presque 2 mois. Je vous laisse imaginer quelle torture cela a été.
Combien de temps avez-vous passé à l’hôpital?
J’ai passé 8 jours à l’hôpital suite à la césarienne, mais pas dans la même chambre que lui. 8 jours à me demander si ma décision était la bonne, 8 jours à regarder ce petit être branché de partout, avec tellement d’électrodes et de perfusions qu’on ne le voyait presque pas. Chaque jour avec son lot de piqures. A un point tel qu’on aurait dit qu’ils allaient le vider de tout son sang. Finalement, c’est mon sang qu’ils ont dû prendre pour éviter de lui en ponctionner trop.
Et le jour où il fallu rentrer à la maison arriva. Ce fut une épreuve. Mettre au monde un enfant et partir sans lui est atroce. Chaque jour, était un jour de gagné, un jour de combat pour lui, mais aussi pour moi. Un combat pour garder l’espoir.Les 15 premiers jours passèrent, une première victoire. Il se bat, il est fort, les médecins sont très contents.
Puis, premier essai de désintubation. C’est un échec… au bout de huit heures, il a fallu le ré-intuber. On tentera plus tard, c’était peut être trop tôt. Toujours des piqures, et cette machine qui sonne, tout le temps… J’assiste plusieurs fois à des réanimations ne sachant jamais si il en reviendra. Les médecins ne sont pas satisfaits, il va falloir l’opérer. Personne ne sait si il supportera le choc.
Il est encore très petit, 800 gr environ et les médecins craignent qu’il n’y survive pas. Mais si on ne tente pas, il ne pourra pas aller mieux et ne pourra pas être désintubé. Encore un choix difficile à faire mais il faut bien en faire un… l’opération est programmée puis déplacée. Andréas est trop fragile. Il faut attendre, mais chaque jour de plus est un risque pour lui.
Quelques jours plus tard, l’opération se déroule bien. Le spécialiste a exceptionnellement fait le déplacement pour Andréas. Opération à cœur ouvert. 2h à attendre sans savoir, 2h heures à se dire “et si il ne s’en sortait pas?”.
Finalement tout se passe bien. Il lui faudra quelques semaines pour se remettre de l’intervention.
Les jours passent avec les incessants aller-retour à la clinique, par tous les temps. 30 minutes de trajet à se demander ce qui s’est passé dans la nuit, à se demander ce que les médecins vont nous dire. Nouvel essai de désintubation, qui se soldera encore par un échec. Il n’aura tenu que 1 jour 1/2. Les médecins se posent alors des questions quant à sa faculté de respirer seul…
Puis Andréas est testé à 10 maladies infantiles, plus la mucoviscidose… 1 semaine à attendre les résultats, 1 semaine à se dire “pourvu qu’il n’ait rien”. Les résultats seront négatifs.
On souffle un peu.
Nouvel et dernier essai de désintubation car les médecins ne le ré-intuberont pas si il n’ arrive pas à respirer seul.
Les jours passent et grâce aux massages des kinés et à la cafeine qu’ils sont obligés de lui donner pour qu’il soit suffisamment nerveux, Andréas respire enfin seul.
Vient ENFIN le jour de sa sortie, le 10 février 2010. Malgré la joie d’être enfin chez nous, l’angoisse commence. Il mange peu et il est très difficile de lui donner le biberon. Il a beaucoup de mal à boire. Il lui faut environ 2H pour 80ml, de jour comme de nuit. La crainte à chaque bruit, la peur qu’il s’étouffe dans son sommeil…

Quel a été ton souvenir le plus marquant?
Le souvenir le plus marquant c’est l’arrêt cardiaque qu’il a fait à la maison. 3 semaines après notre retour.
Andréas cesse de respirer, une première fois le matin en prenant son biberon. Il reprend son souffle. Le docteur pense à une mauvaise route.
Puis, le soir à 18h, le voilà sans vie, sans résistance il devient peu à peu bleu puis violet… Cruelle est la vie.
Je n’ai pas d’autres choix que de le réanimer moi-même. Je sais très bien que le temps d’aller aux urgences (30min) ou de téléphoner aux secours et expliquer en Allemand ce qui se passe, il sera trop tard. Trop tard pour le sauver, trop tard pour espérer un jour le sortir de l’hôpital. Personne n’est préparé à ça, personne ne devrait avoir à le vivre est pourtant ça arrive, comme si la vie ne s’était pas assez acharnée….
Je me suis ensuite rendue aux urgences. Andréas était de nouveau en arrêt cardio-respiratoire à mon arrivée.
J’ai vu les infirmière faire les premiers secours, en vain. Je les ai vu sortir les palettes et me sortir de la salle avant de s’en servir et tout le service de réa-néonat passer avec les machines, me regardant de façon désespérée.
Et puis, par miracle, il s’en est sorti, encore! Bébé Miracle!
Trois semaines d’hospitalisation supplémentaires et un moniteur pour le surveiller jour et nuit à la maison. Mais on a continué à se battre comme des lions!
Et ton plus beau souvenir?
Ce que les allemands appelle le kangoorooing, mon premier peau à peau avec Andréas au bout de 2 mois.
J’ai pleuré. Il était si petit, encore branché de partout. Mais quel bonheur de pouvoir enfin porter son enfant, même si ce n était que pour 5 minutes!

Comment Erwin a-t’il vécu la prématurité de son petit frère ?
Erwin avait tout juste 2 ans. Il n’a pas vraiment de souvenirs de cette période. Mais je l’emmenais au moins 1 fois par semaine à l’hôpital.
Il n’avait pas le droit d’entrer dans le service afin d’éviter les contaminations. Donc on allait sur le balcon, et on longeait toutes les chambres de l’extérieur (avec le froid). Elles avaient toutes de grande baies vitrées, mais pour voir le petit bout dans son carrosse, c’était compliqué.
Ensuite au retour à la maison, j’ai fait en sorte qu’il m’aide pour éviter qu’il se sente délaissé.
Je me suis beaucoup reposée sur lui. Il a été et est toujours bienveillant avec son frère (même si ils se chamaillent de temps en temps).
J’ai toujours fait en sorte d’élever Andréas comme un bébé né à terme, afin que sa prématurité ne soit pas une excuse et qu’il ne se cache pas derrière.
Comment va Andréas aujourd’hui?
Aujourd’hui Andréas a 7 ans et pète la forme! Il a un léger retard à l’école mais rien de bien méchant. Il est suivi par une orthophoniste (mais bien des enfants le sont).
Il est plein de vie, c’est mon petit rayon de soleil, toujours le sourire.
Et toi?
Je vais bien maintenant, mais il m’a fallu du temps pour accepter que cette naissance n’était pas ma faute, et que je n’aurai rien pu faire pour qu’il en soit autrement.
Aujourd’hui je prends la vie comme elle vient, je profite de chaque instant que la vie me donne, chaque moment de bonheur. La vie est courte et elle est tellement belle quand on laisse de côté les petits tracas sans intérêt qui nous pourrissent au quotidien.
Un conseil pour les parents qui traversent cette épreuve?
Ne jamais perdre espoir. Nos enfants se battent pour nous, et nous n’avons pas le droit de les laisser tomber. Nous sommes des mamans courage! Des guerrières!
Ne restez pas seule, ne refusez pas l’aide psychologique que la clinique vous propose ou demandez-la. C’est important pour vous mais surtout pour le petit bout qui se raccroche à votre voix. Et même si personne ne peut comprendre ce que l’on vit à MOINS de l’avoir vécu, le soutien des amis et de la famille est très important.

Céline, je te remercie du fond du coeur pour ce témoignage si précieux. J’espère qu’il aidera de nombreux parents qui traversent cette terrible épreuve qu’est la prématurité. Tu nous donnes à tous une vraie leçon d’amour et de courage, et j’en suis profondément touchée. Embrasse bien fort Andréas et Erwin.
1 Commentaire
marine
18 novembre 2016 à 6 h 22 minwaooo j’en ai les larmes au yeux! Bravo à cette maman, bravo à ce grand frère et bravo à ce bébé guerrier. Pour se battre si fort c’est que forcément une jolie vie les attend 😉 <3 <3 <3